Mr Yogi
Allez j’écris tant qu’c’est encore chaud.
Aujourd’hui clairement j’ai rien branlé. J’me suis réveillée vers 8h j’crois. Et puis j’ai emmené mon linge à la laverie et puis PC jusqu’à environ 16h. J’ai cherché des infos sur les différents visas dont j’vais avoir besoin et puis maté des vidéos et puis écris mon écrit de c’matin et puis cherché d’autres infos. Bref. Vers 16h j’suis sortie manger et puis j’ai traîné dans les rues, fais des marchés, acheté des fruits.
C’est là que j’ai rencontré Mr Yogi. Il marchait sur la route dans la direction opposée à la mienne. J’me souviens avoir remarqué qu’il était trop bronzé pour être du coin mais trop bien habillé pour être un touriste. Quand il a attrapé mon regard il est direct venu vers moi. J’pensais qu’il allait me demander le chemin ou un truc comme ça. A ma surprise, après les cordialités d’usage, il me dit :
- Vous avez beaucoup de chance. Vous voulez savoir pourquoi ?
- Pourquoi ?
Là il prend un p’tit bout d’papier d’son espèce de porte-feuille, écrit des trucs dessus, en fait une boulette et me demande d’le garder dans mon poing fermé. Là j’commence à comprendre et j’lui demande si j’vais devoir lui donner de l’argent. Il esquive et me demande de choisir une couleur. Bleu. Un chiffre. 3.
- C’est votre chiffre préféré ?
Je bafouille. Tout va très vite. Il écrit 8,7,9.
- Choisis-en un.
- 9.
Il le barre.
- Un autre.
- 8.
Il le barre et entoure le 7.
- Maintenant ouvre le papier dans ta main.
- Nan c’est une blague ?
J’m’exécute. Bleu, 7 et une liste de prix.
Et là, sans jamais lâcher mon regard, sans même cligner des yeux, il me balance un tas d’trucs :
- Tu as beaucoup de chance mais tu ne sais pas comment l’exploiter. Tu penses trop du coup tu ne sais pas quels choix faire. Aussi quelqu’un t’as brisé le coeur, un garçon, et tu penses toujours à lui. Tu vas le revoir et il va te faire une proposition. Tu fais quoi dans la vie ?
- Euuuuuuuh j’travaille avec des chevaux.
- Tu n’aimes pas travailler avec les gens parc’qu’ils ne pensent qu’à l’argent et toi Tu n’aimes pas l’argent. Tu es honnête et franche et tu te bats pour la paix, pas l’argent. Tu as un projet, un projet d’entreprise que tu veux monter.
Comme ça il me balançait mes vérités de nulle part. Bon c’est pas à la lettre ni dans l’bon ordre, mais le contenu est là. Ensuite il me dit qu’il a des choses à m’dire, qu’il peut m’aider à moins penser grâce à la méditation et me montre la liste de prix. A ce stade bien sûr je suis abasourdie. J’lui pose alors quelques questions : comment fait-il, d’où vient-il, que fait-il à Siem Reap etc. Il me dit qu’il vient d’Inde, qu’il est moine Hindu, que c’est Dieu qui lui dit tout ça, qu’il allait surement ne plus s’en souvenir dès qu’il partira, qu’il ne fait pas ça avec n’importe qui mais que moi j’ai beaucoup de chance mais que je galère et qu’il peut m’aider, que l’argent va aux enfants pauvres d’un orphelinat de son pays, qu’il voyage, que Dieu lui parle. J’lui explique un peu embarrassée que je n’peux pas dépenser de l’argent pour ça, que j’en ai besoin pour rentrer chez moi. Bien sûr il essaie de me convaincre. Il me demande de choisir un fruit.
- Pamplemousse.
- C’est lequel ton préféré ?
- La mangue, j’adore la mangue.
Il me dit qu’il accepte n’importe quel don, même une petite somme, c’est mieux que rien. J’lui glisse un billet de 10 000 riels. Là il m’dit qu’il peut me donner le nom du garçon auquel je pensais.
- Okay.
- Si j’te l’dis tu sauras alors que je dis la vérité donc que cet argent ira aux orphelins et donc tu pourras donner plus.
Là j’me suis sentie piégée parc’qu’en gros il fallait que j’le paie pour qu’il me le dise. J’ai refusé. Il m’a dit qu’c’était pas grave.
- Dieu va bientôt venir te parler et te guider. Peut-être dans un rêve.
Là il écrit son nom et numéro sur le p’tit bout de papier et me le tend.
- Dieu te donne une seconde chance. Tu as une seconde chance, appelle-moi. J’ai des choses à te dire.
J’le remercie et lui serre la main. Là il m’dit de garder mes secrets pour moi, que si je parle trop de ce que je sais les gens vont l’utiliser pour me nuire.
- Good luck.
Et puis il s’est remis à errer le nez en l’air.
Il m’a fallu du temps pour m’en remettre. J’ai dû m’asseoir sur un banc pour repenser tout ça.
Concrètement j’y crois pas trop. Je portais un débardeur bleu, il a eu d’la chance pour le chiffre 7 et il a complètement râté le fruits puisque j’ai découvert plus tard qu’il avait écrit "pomme" au recto du p’tit papier. Il a vu juste pour beaucoup de choses, notamment l’histoire de mon projet où il m’a alors dit que j’étais une bosseuse. Quant au garçon bien sûr j’ai direct pensé à Thomas. Je pense régulièrement à lui et d’ailleurs, pathétiquement, je pense qu’il est une des raisons pour lesquelles je n’ai pas envie de quitter ma région. Ca fait un moment que j’m’en suis rendue compte, que j’espère toujours qu’il puisse nous arriver un truc. Je dirais pas qu’il m’a brisé le coeur mais qu’il y a définitivement un goût d’inachevé avec lui.
En gros tout ce qu’il a dit est commun à beaucoup d’autres. Rien de VRAIMENT extraordinaire. Donc je pense que c’était un scam, mais un bon.
Oui, parc’que, forcément, et si ? Il était quand même convaincant, n’a jamais perdu son sérieux et quand j’lui disait que c’était dingue il me répondait que non, c’est juste la vérité. Et là il me dirait que j’pense beaucoup trop, c’qui est vrai. J’avoue quand même que j’ai beaucoup hésité à lui filé US$20 juste par curiosité de c’qu’il pouvait me dire de plus, mais non, ma Raison l’a emporté.
Bouleversant…