L'Oracle
J’ai craqué hier soir. Nan, j’ai pas craqué, j’ai merdé. J’ai rongé un index. En fait mon ongle avait une forme bizarre, j’voulais juste rogner un coin et puis c’est parti en couille. D’où l’utilité d’utiliser un coupe-ongle. C’est moche maintenant. C’est comme avant, sauf que j’ai pas ressenti de plaisir. Nan en fait même avant je ne ressentais pas de plaisir, ni même de satisfaction. Ca m’faisait chier mais c’était une habitude donc j’voyais même plus la laideur j’pense. Desfois j’me dis qu’c’était même un peu maso parc’que desfois ça frittait quand la peau partait avec. Mais j’m’étais faite à cette douleur aussi. C’était normal. Le problème c’est quand j’vois cet index rongé maintenant, j’ai envie d’le ronger encore plus. C’est là où le contrôle s’impose.
J’ai eu une pensée. J’me pose vraiment des questions pas rapport au Destin. J’veux dire j’y ai toujours cru mais j’y pense encore. Surement parc’que j’me suis faite la trilogie de Matrix il y a peu. J’me suis rongée les ongles toute ma vie. J’suis née avec le gêne onychophage parc’que Papa, Mamie et Marraine l’ont. C’est génétique. Le gros problème de c’truc, mis à part que c’est moche, c’est qu’c’est pas hygniénique. Surtout quand on s’lave peu les mains, comme moi. Pourtant j’ai très peu été malade. Donc peut-être que l’onychophagie a développé mon corps en plus résistant. De même que pour Papa et les autres. On est jamais malade. Ca a peut-être un lien. Aussi, maintenant, j’ai trouvé la force d’arrêter, ou en tout cas de salement me calmer, pour avoir des plus belles mains, plus féminines (ça c’est l’argument de Maman). Si j’arrive à atteindre mon prochain objectif qui est de perdre du poids, je s’rais enfin complètement bien dans ma peau. Parc’que faut arrêter d’se voiler la face, j’suis p’t-êt' plus autant complexée qu’avant, mais j’aime pas mon corps pour autant. Quand j’me regarde dans l’miroir dans la douche (délicatesse japonaise) je n’vois qu’un bide énorme, des hanches prépondérantes, des seins trop lourds, aucune harmonie, aucune ligne, qu’un amas de chair repoussante. Les bras et jambes ça va, les fesses aussi, j’ai jamais eu à m’plaindre d’ce côté-là, c’est normal. Mais ce ventre ! Pffff… Bon, ça s’cache en-dessous des vêtements, c’est encore pas le truc qu’on remarque direct quand on m’voit j’pense. Bref. Si j’arrive à atteindre cet objectif, je regarderais en arrière et je sourirais en m’disant qu’il faut croire que j’avais besoin d’ça pour surmonter tout ça. J’veux dire, être au-dessus d’la courbe de poids au collège et au lycée c’est horrible. Se faire chambrer, ne pas se sentir désirer, les vannes, les regards… C’est dur putain ! Ca t’forge une carapace de ouf ! T’es obligé d’trouver d’autres moyens d’être quelqu’un, d’avoir de l’humour, d’être une bonne oreille, d’avoir une grande gueule. Faire tes preuves. Mais en même temps j’préfère ça. Parc’que faire ses preuves par son physique, c’est franchement ridicule nan ? C’est franchement lame. C’est peut-être ça qui m’a donné les couilles d’me barrer à 21 ans à l’autre bout du monde. C’est p’t-êt' grâce à ça que j’le voulais vraiment. Parc’qu’en plus en Australie, les filles, elles s’en tapent. Elles mettent des mini shorts et des mini hauts graisse ou pas, cellulite ou pas. Ca m’a marqué et ça m’a fait oublié. Ca m’a fait me sentir bien. Et puis ma perte de poids à Derby a aussi rajouté des points à mon bien-être et mon estime de soi. Mais j’espère que d’ici la fin d’l’année ce s’ra oublié. Et ce poids ne sera plus qu’un moyen, qu’une aide, qu’un coup d’pouce à devenir celle que je dois être, celle que je suis. Tout ça pour dire que peut-être que c’est pas une question de génétique mais de destinée.
Mouais ça paraît débile maintenant.
Bref c’est mon jour de congé. L’assurance m’a enfin répondu avant-hier. Il me faut l’original de l’attestation d’assurance donc ils me l’envoient par courrier. Par contre pas d’nouvelles de l’auberge. Vais surement devoir en trouver une autre.