People Always Leave

Bryansk

Oh boy… Ca avait pourtant bien démarré. J’avais la forme c’matin, j’étais bien motivée à lever mon pouce à nouveau. Me retrouver sur l’autoroute à 8 voies m’avait un peu flippée mais j’me suis lancée franchement.

Les 6 premiers chauffeurs étaient plus que corrects. J’ai même eu un grand moment d’émotion quand j’ai compris ce que l’un m’avait bassiné tout le trajet quand le suivant s’est mis à répéter les mêmes mots mais avec les gestes en plus. Pour le coup ce dernier n’a pas trop dû comprendre mon euphorie soudaine mais moi ça m’avait vraiment donné la pêche.

Et puis le septième s’arrête. Sa tête me disait rien qui vaille mais les deux p’tits à l’arrière m’ont décidé rapidement. Erreur, et la deuxième ! Avoir des gosses n’est décidément pas preuve de bienveillance. Il n’a pas traîné avec ses avances dégueulasses. Bien qu’il ne parlait pas un mot d’anglais, j’avais pas besoin de connaître le russe pour comprendre son sourire pervers et ses gestes complètement déplacés. Mais si ça n’avait été que ça…

A hauteur de Kaluga il est sorti de l’autoroute. J’lui ai donc direct demandé de s’arrêter. Ce con n’voulait pas. Il m’faisait comprendre que cette route allait aussi à Bryansk, que lui il savait, tout un baratin de merde. J’ai insisté, durement. Genre je répétais sans arrêt "can you stop please" avec la ceinture détachée et la main sur la poignée. Il avait ralenti mais pas assez pour sauter. J’ai gardé mon calme et essayé de ne pas paraître flippée mais quand il a un peu commencé à s’énerver et hausser l’ton, j’me suis rabattue dans mon siège et me suis dit qu’ça servait à rien, qu’il était bien trop con, qu’il fallait juste que j’attende que ça passe. J’ai gardé un sourire forcé mais n’est quasiment pas décroché un mot. Honnêtement, j’avais pas spécialement peur, je savais qu’il allait m’laisser sortir quand il aura fini d’faire mumuse, mais j’éprouvais une haine profonde, un dégoût monstrueux, un mépris total pour ce déchet. J’avais presque envie qu’il tente quelque chose pour pouvoir attraper ses couilles et les serrer de toutes mes forces dans ma main. Sans rire, une réelle envie de meurtre, ou en tout cas de faire beaucoup de dégats. Oui, du mépris, c’est le mot. Genre quand il voulait détendre l’atmosphère et qu’il faisait le guignol, j’lui lançais un p’tit rire sarcastique, genre ouais gros j’me fous d’ta gueule. Il paraissait plus aussi effronté ensuite. Ou quand il a mis des chansons françaises et faisait style de danser et que j’l’ignorais complètement… J’ai été polie et "gentille" jusqu’à la fin mais quand il m’a déposé à cette station d’bus dans l’trou du cul du nulle part, j’ai même pas attendu qu’il s’arrête complètement pour sortir d’sa BMW de merde, récupérer mon bardasse dans l’coffre et m’éloigner d’cette enflure. Il a essayé d’me parler, m’a même interpelé, mais hors de question pour moi d’lui dire merci ou aurevoir. Ce porc ne m’inspire en fait aucune parole.

J’ai déboulé dans le hall en marmonant des "fucking asshole, you fucking dirty pig, freaking dickhead", j’ai balancé mon bardasse au milieu d’la pièce remplie d’gens, j’suis allée voir la caissière qui m’annonce qu’il n’y a pas de bus pour Bryansk, et là la colère est apparue. Pas seulement contre cette ordure, mais contre le karma, contre Dieu et contre moi. Pourquoi ? Nan mais pourquoi ? Est-c’que j’ai besoin d’ça ? Vraiment ? Est-c’que c’est pas déjà putain d’dur ? Est-c’que j’en chie pas déjà assez ? Nan mais bordel de merde, POURQUOI ?? ?

Ensuite, après une énième rapide tergiversation forcée et l’aide d’un chauffeur de taxi sans voix, j’me suis retrouvée mon pouce levée sur une route de campagne complètement défoncée. Le genre de route avec un taux d’une voiture toutes les 4 minutes 30. La joie. Là j’ai failli craquer. Je faisait les cents pas quand toute cette colère a surgit au bord de mes yeux. Mais hors de question qu’ça sorte. Oui, je refuse d’me laisser aller dans une situation pareille. Ca ne sert à que dalle, au contraire ça empire les choses je trouve. Ca n’avance à rien et ça embrume l’esprit. J’ai donc ravalé tout ça, bien profond dans mes tripes et j’ai fait c’que j’avais à faire, même si l’espoir était très mince.

Et puis il est apparu. L’Ange. La rédemption. LE type qu’il fallait, pile poil. Un livreur de produits de supermarché. Il a du saisir ma détresse puisqu’il n’a même pas attendu une seconde pour regarder son planning et m’annoncer qu’il doit livrer à Bryansk après avoir livré 5 autres magasins donc qu’on sera là-bas sur les coups de 20h. Ca m’a pas plu tout d’suite parc’que j’savais que j’étais pas à plus de 250km de Bryansk et que j’voulais arriver bien plus tôt que ça. Mais de fil en aiguille il m’a convaincu. Ou plutôt son air enfantin à la Manech d’Un Long Dimanche de Fiançailles, sa bienveillance et sa légèreté m’ont persuadé que rester avec lui c’est safe. Et safe, j’avais plus que tout besoin d’l’être à c’moment-là. Il m’a vraiment apaisé et redonné l’sourire. On a eu des espèces de conversation par traducteur de smartphone interposé, bien qu’on s’répondait plus à nos questions par d’autres questions parc’que la traduction était plus que pauvre. C’en est même devenu ambiguë mais pas décevant, à peine embarrassant. Il avait trop l’air rassurant pour lui en vouloir de ses maladresses. Il m’a emmené à bon port, bien qu’une heure et d’mi de retard mais me nourrissant sur la route. Il a été un gentleman, le contraire total du résidu d’vomi d’un lépreu de chauffeur précédent. Une réconciliation.

Donc ce soir j’suis hébergée par un jeune couple de pouceux et leur fille.

Note sans transition : bien que j’avais jamais compris comment reconnaître un Juif par ses traits, la première vision de la râclure m’avait fait penser qu’il ressemblait à un Juif. 20 minutes plus tard il essayait de m’filer une kippa…