People Always Leave

Antipodes

J’ai eu une drôle de pensée hier soir. Ca c’était après avoir eux des pensées glauques. Ca m’a empêché d’dormir. J’ai pensé aux parents. A quel point ils sont différents l’un de l’autre.

Papa, ce héros, est l’aîné d’une fratrie de 7 enfants. Il a grandi dans une petite ville où, d’après ces dires, il a passé son temps dans la rue, à retaper des mobylettes, faire des expériences, traîner avec sa bande, camper dehors, etc. Il est allé au collège pour faire la Sixième et puis il est entré en apprentissage en tant qu’apprenti maçon. A quinze ans il sillonait les routes en France le pouce en l’air. A dix-huit ans il rencontre ma mère et part faire son SMA en Guyane, là où personne ne voulait aller. Il entretiendra des correspondances epistolaires avec Mamie et Maman (cf son journal).

Maman, quant à elle, a grandi dans le petit village voisin de cette ville en tant que cadette de quatre enfants. Enfance banale d’un père facteur qui élève des lapins. A dix-huit ans elle rencontre mon père lors d’une fête organisée chez les voisins d’en-face (Tantine sortait alors avec le premier frère de Papa). Et puis après le lycée elle partira faire ses études à St et passera le concours à La Poste et finira aux renseignements téléphoniques à France Télécom.

Après 3 ans (peut-être que deux en fait) Papa rentrera de Guyane pour s’installer avec Maman dans sa chambre de bonne. Ensuite ils loueront un appartement ensemble jusqu’à que ma soeur pointe le bout d’son nez. C’est enceinte de moi qu’ils feront l’acquisition de cette maison de village de campagne et la rénoveront. Et puis c’est mon tour de voir le jour.

Maman travaille en équipe et parfois le week-end aussi. C’est donc Papa qui nous cherche chez Tatie. Ils nous fait monter dans la benne de son camion pour faire les centaines de mètres qui nous séparent de chez Tatie. Ou alors il nous prend sur ses genous et nous laisse tenir le volant. Le dimanche il nous emmène à la piscine, au cinéma, en ballade en forêt. J’me souviens les descentes en glissade le cul dans les feuilles mortes. On s’prenais toujours des bogues de châtaignes dans les fesses. On prenait la douche avec lui. J’me souviens pas qu’il nous habillait ou nous nourrissait, mais j’pense bien qu’il le faisait aussi. J’me souviens qu’on attendait ma mère quand elle finissait tard, on la regardait manger son dîner.

Et puis ils décident de faire un troisième enfant et mon frangin débarque. On s’occupe de lui, on est contente. Ma mère restera trois ans à la maison après l’accouchement. Papa était représentant des parents d’élèves à l’école primaire mais c’est Maman qui nous aide pour les devoirs. J’me souviens qu’c’était bizarre de demander à Papa. Il n’est pas formaté pour l’école, il l’a quitté jeune, donc il est maladroit et ses explications sortent du contexte. Du coup, les devoirs, c’est Maman. Et puis le collège. On apprend vite à être autonome ma soeur et moi. On est bonnes élèves, juste un peu dissipées parfois. Les parents nous suivent. Ils sont présents aux réunions parents-profs mais là encore, pour signer les paperasses, c’est Maman. Pour la musique c’est pareil. Ils nous ont inscrites quand on avait six ans, c’est Maman qui nous f’ra réviser tous les jours, mais ils seront tous les deux là à chaque concours ou concert. Papa entrera même dans le comité et deviendra un membre important de l’association. Maman filera toujours un coup d’main aussi.

Papa nous initiera à la lecture. Il y avait toujours un comic dans les toilettes. J’aimais regarder les dessins parfois crus. Genre Spawn qui dépèce un gars. Je revois bien le type, sans peau, agonisant au sol. J’étais fascinée. Les dessins étaient tellement bien faits. Et puis j’me souviens qu’il m’offre le premier tome d’Aldébaran à un de mes anniversaires (Onzième ? Douxième ?). Je les collectionne encore aujourd’hui. Mais avec ma frangine c’est plus vers les romans d’amour qu’on se tourne alors. Les fameux Coeur Grenadine. On en a plus d’une centaine. Et puis Papa s’intéresse aux mangas alors on s’y intéresse aussi. Et puis on regarde beaucoup de films. Des films d’actions. J’me souviens qu’il nous avait emmené voir Armageddon au cinéma. Bruce Willis, Schwarzi, Stallone, j’ai grandi avec ces types. True lies vu dix fois, Le Cinquième Elément vu dix fois, Une Journée en Enfer vu dix fois, Forrest Gump vu dix fois. Et puis les séries TV aussi, comme Angel, Les Experts, NY Section Criminelle et Unité Spéciale, NY 911. On les regardait ensemble. Et puis la musique aussi. Papa n’est pas musicien mais possède une belle collection de CDs. Jonnhy Halldyday, Céline Dion, Queen, Alan Parson Project, Stereophonics, Barclay James Harvest, Renaud… J’me souviens quand il a récupéré un vieux magnétophone chez le feu voisin. On pouvait écouter des cassettes et enregistrer des sons. Avec ma frangine on se faisait des mix sur cassettes à partir des chansons qui passaient à la radio. Il y avait toujours de la musique à la maison. Le dimanche matin il l’a mettait à fond pour nous réveiller. Il jouait du pahu aussi desfois. C’est d’ailleurs Papa qui nous réveille le matin, rarement Maman. Encore aujourd’hui ce sont nos sujets de conversation préférés. On s’raconte un bouquin qu’on a lu, je lui conseille des livres, on regarde un film ensemble, il s’achète des CDs et nous les fait écouter dans la voiture. Ce sont nos intérêts communs. Et à côté d’ça mon père ne m’a jamais fait d’sermon. J’y ai pensé l’autre jour quand Tim m’en a fait un à propos du stop. Il m’a dit qu’il disait ça en tant que père. J’lui ai répondu que mon propre père ne m’a jamais fait de sermon là-d’ssus. Jamais tout court. Il m’a inculqué des valeurs, certes, mais pas en m’faisant la morale. J’arrive même pas à me souvenir d’une seule fois il m’a fait un semblant de leçon. Faut dire qu’il s’énerve rarement aussi. Il est du genre à plutôt essayé d’nous faire rire tout l’temps. Ca aussi il nous l’a inculqué : l’humour. Faire des blagues. Rigoler de beaucoup d’choses. J’avais plus d’humour que la plupart de mes copines au collège. Elles trouvaient ça vieillot. Quand j’étais gamine il m’avait fait croire qu’il se plantait une aiguille dans l’front et qu’elle ressortait de l’autre côté d’son crâne. J’l’avais raconté à toutes mes copines à l’école. Mon père était un super-héros.

Et puis Maman. Maman ne lit pas, s’endort à chaque film, n’achète jamais de CD, ne se souvient jamais des blagues. Maman rit beaucoup mais Maman crie beaucoup aussi. C’est parfois une routine de rentrer, se faire engueuler, qu’elle se fâche et ne lâche pas un mot parfois pendant des jours. C’était la panique quand fallait faire signer des trucs pour l’école, on osait plus lui demander, exceptionellement on demandait à Papa. Papa n’était pas de notre côté, on en parlait jamais, mais ma soeur et moi nous serrions toujours les coudes. "Elle est fâchée Maman ?" était devenu une question banale lâchée discrètement à mi-mots. C’était nous les fautives et Papa ne pouvait, ne devait pas faire ensuite le guignol avec nous. Il supportait Maman, et maintenant je comprend pourquoi, mais à l’époque non. Ca m’énervait. Il m’énervait à être toujours de son côté. C’était presque devenu un quotidien. Durant des années la pression était là. "Fais pas ça tu vas l’énerver!". "Tu veux qu’elle s’énerve ou quoi ?". C’était aussi des menaces venant de Papa. J’me rend compte à quel point ça devait l’saouler. Lui qui n’voulait que rire et avoir la paix, il devait supporter les crises de Maman et faire le gentil, encaisser sans rien dire. Il ne nous était d’aucun secours dans ces moments-là, mais comme dit, il ne pouvait pas. Parfois il en rajoutait même. C’est peut-être pour ça qu’ma soeur et moi sommes si proches en fait. Il était rare qu’on se prenne le chou dans ces moments-là puisqu’on avait plus que l’une et l’autre. Mais bref, ce temps-là est fini depuis qu’on a intégré le lycée je crois. Depuis qu’on a grandi. N’empêche que ça a laissé des traces sur ma relation mère-fille. J’crois qu’j’en ai toujours voulu à ma mère de foutre une sale ambiance à la maison, de l’entendre dire qu’elle n’est pas une bonne mère, de gueuler à s’en arracher la gorge. J’ai jamais compris. J’veux dire il y avait une raison à la base, comme quand Jonch a fait tomber une bouteille de jus de pomme par terre et que donc elle devait nettoyer mais que comme c’est du jus d’pomme ça allait coller. Ou quand j’me braquais quand elle me f’sait réviser la musique et faire mes devoirs. J’me fermais, je disais plus un mot, j’y arrivais plus, et ça ça la mettait en colère. A me balancer mes cahiers et m’envoyer dans ma chambre. Quand on f’sait les magasins aussi et que j’faisait ma tête de mule. A croire que c’est c’que j’voulais, qu’elle s’énerve. J’revois ma soeur me prendre à part et me faire la morale : "Arrête de faire ça putain ! Tu veux qu’elle se fâche ou quoi ?". J’ai toujours été le vilain petit canard. Ma soeur, elle, n’était jamais bornée. Elle profitait des moments calmes et se pliait à la terreur de Maman. Sans rien dire. Bien sûr elle a dû en souffrir autant que moi, mais sa relation avec Maman a toujours été meilleure que la mienne. Elle prend sur elle, elle ne lui en veut pas. Moi, j’arrive pas à m’en empêcher.

Mais bref, au milieu de ce tourment, il y a eu des tas de bons moments aussi. Je l’ai toujours dit, j’ai eu une enfance heureuse et une adolescence comme une autre, teintée de problèmes existentiels et de rebellion.

Tout ça pour dire que Maman n’a pas de hobby. Elle ne nous a jamais vraiment inité à un truc. Elle m’a appris à cuisiner certaines choses, à faire le ménage, à tricoter aussi, mais ce sont des choses ponctuelles disons. Elle-même n’a pas de hobby. Elle avait intégré une équipe de parents au basketball où Jonch jouait, mais elle ça n’a duré qu’une saison j’crois. Elle aime des tas d’trucs, ça oui. Manger, faire des mots croisés, elle s’occupe de ses géraniums, jouer au tarot, à la belote et au Scrabble, elle aime conduire les bras tendus, boire de la bière, faire de la paperasse, faire de la peinture… Oui elle aime faire des trucs mais y a pas un truc qu’elle aime. C’est toujours une galère de lui acheter un cadeau. Elle cuisine mais n’a pas d’intérêt pour ça, d’ailleurs elle déteste faire d’la pâtisserie. Elle ne lit pas, ne boit pas de thé, ne fait pas de la couture, n’a pas d’intérêt pour la décoration, ne collectionne rien, ne jardine pas, ne voyagerait pas seule, ne pratique aucun instrument, de chante pas, n’aime pas la mode, ne se maquille pas, ne fais pas de sport, pas plus d’intérêt avec les animaux ou la technologie ou l’art ou le bricolage… 'fin bref elle n’a aucun intérêt dans la vie. J’me rend compte qu’elle répète le schéma de sa propre mère qui n’a été qu’une mère au foyer. Sans passion. Sans extra-plaisir. Peut-être son éducation un peu stricte qui lui a fait zapper ça ? Elle fait des trucs, des tas d’trucs, mais parc’que Papa les faits. Elle a fait de l’escalade avec lui, elle voyage avec lui, elle va à des concerts avec lui, elle fait du camping si lui en fait, elle va au club de gym si lui y va. Mais elle n’a rien à elle. J’la juge pas, j’lui reproche rien, j’trouve juste ça dommage. Elle n’a même pas vraiment d’intérêts pour les enfants, elle n’en voulait même pas. Ma soeur était un accident. Elle nous aime bien sûr, elle est contente de nous avoir maintenant je pense, elle est aussi aux anges d’être grand-mère, mais voilà. Qu’est-c’qu’elle a fait dans sa vie qu’elle voulait vraiment faire ? Qu’est-c’qu’elle a choisi ?

Mes parents sont aux antipodes. Et pourtant après plus de trente ans de vie commune, trois gosses et treize ans de mariage, ils sont toujours là, ensemble et, je l’espère sincèrement, amoureux. Mais parfois j’me dis qu’ils ont juste pris l’habitude l’un de l’autre. M’enfin ils s’entendent bien, c’est visible. Ils s’aiment. Ils se complètent aussi je suppose. C’est ça le secret ?