People Always Leave

Ange.

Ce matin il est revenu en me nommant la Solitaire. On a discuté tout le temps de la pause. J’ai tellement de trucs à dire que j’sais pas par où commencer…

Il est Camerounais. Il est ici depuis bientôt un an seulement. Et il ne veut aucune excuse au sujet de ma non-intégration parc’que lui connait le racisme tous les jours et lui non plus ne connaissait personne en arrivant. Pour lui, que je sois une fille ne pose aucun soucis. Il suffit que je dise bonjour aux autres, que je leur raconte un p’tit truc de temps en temps, comme ça la prochaine fois ça s’ra p’t-êt' eux qui me raconteront quelque chose. Il m’a montré une autre fille de 30 ans qui est en BTS et qui restait un peu à l’écart de son groupe, en train de fumer, mais elle était là. Il m’a dit qu’elle avait trouvé sa place. Qu’il fallait que je fasse de même, et que je m’y assois. J’lui ai dit que c’était pas forcément la meilleure place. Il m’a répondu qu’il fallait que je trouve celle qui me corresponde, quitte à prendre la meilleure place. Mais lui et moi savons que ça n’se fait pas du jour au lendemain.

Il a raison. C’est pas compliqué. Ca s’fait tout seul normalement. Mais j’ai tellement l’impression de pas être intéressante, que les autres me trouvent nulles et banales. Pourtant, je le lui ai dit, je suis très sociable, j’adore rencontrer des gens et discuter, j’aime pas spécialement la solitude. J’ai essayé d’lui faire comprendre que les autres ne pensent pas forcément comme lui, qu’ils me voient simplement comme une fille paumée. Il m’a répondu qu’il en a rien à foutre des autres, que j’avais ma place ici comme tout l’monde, qu’il fallait que je puisse m’y asseoir.

Il m’a aussi dit que ça se voyait que j’étais un peu perdue, que parfois je restais là à attendre de décider où j’allais aller. Ce qui est vrai. Sauf que je ne pensais pas du tout que quelqu’un me regardait. J’lui ai demandé pourquoi, il m’a dit qu’il me mattait pas moi spécialement, mais tout son entourage. Et que s’il pouvait agir chez quelqu’un, il le f’sait. S’il pouvait changer la vision de quelqu’un, lui apporter son aide, il se faisait un plaisir de le faire. Et il m’a vu dans cette masse. "T’es l’ange gardien du CFAI c’est ça ?". "Non, je suis juste moi et on est un peu tous une grande famille.". En gros c’est ça qu’il voulait dire.

J’lui ai parlé de mon ancien lycée, que là-bas c’était plus facile parc’que la mentalité est différente, on va plus chez les autres. Il était d’accord, parc’qu’au Cameroun, quand on accueille quelqu’un, on lui fait sentir qu’il est chez lui et on fait tout pour qu’il soit à l’aise. Alors qu’ici les gens sont méfiants et te regardent de bas en haut avant de décider s’ils vont t’adresser la parole ou pas.

J’ai aimé cet échange. J’espère qu’il ne sera pas le dernier.

Je sais même pas son prénom mais en tout cas, je ne l’ai pas revu à midi, ni à la sortie des cours.

Alors, fantôme ou ange ?

En tout cas c’est décidé, un jour, j’irai au Cameroun.